mardi 14 avril 2020

UN AN APRES...

Alors, tu n’écris plus ?

« On me dit qu'il faut que je parle, que j'affirme, que je proteste, que je crie, que je m'indigne, que je ricane, que je manifeste, que je résiste, que je me sente victime, blessé et insulté, injurié, manipulé, escroqué, mais même quand ça m'arrive, je préfère me taire parce que le plus souvent, je n'ai rien à dire. »
Je préfère perfectionner mon silence que de proférer des opinions.
Je voudrais faire mienne cette expression du journaliste et romancier Philippe Lançon… mais pourtant ! Oui, j’ai toujours envie de dire, d’écrire, d’affirmer, de proposer... Il y a en moi un réservoir qui se remplit en continu d’émotions de toutes sortes et qu’il me faut assécher à un certain moment.
Alors, je prends à nouveau ce risque, d’écrire et de publier. 
D'être contesté, bien sûr.
 D’autres, que j’admire, en sont capables presque quotidiennement. Cette capacité n’est pas la mienne. Il me faut du temps, enfin un certain temps, pour que les mots de ma page s’ajustent à mes pensées et je n’en suis pas souvent satisfait.

S’ATTENDRE A L’IMPRÉVU (Edgar MORIN)

La propagation du virus covid-19 a placé le monde moderne-occidentalisé dans une situation inconnue. La longue période de confinement contraint y ajoute une expérience inédite. La nécessité s’impose d’organiser une vie professionnelle et familiale sur des bases nouvelles et, pour la plupart d’entre nous, inexpérimentées.

Une masse continue d’informations, de recommandations, de consignes, nous parvient, issue des milieux « autorisés », soit par des compétences médicales indiscutables, soit par la légitimité politique dont les responsables de l’État sont dépositaires.

Mais au fil de ces indispensables communications, s’ajoute une profusion d’experts auto-déclarés, de donneurs de leçons médicales et politiques de tous poils, de contestataires maladifs, de prophètes de plateaux, de pollueurs en général incultes de réseaux sociaux…

L'HORREUR TÉLÉMÉDIATIQUE
Ces donneurs de leçons, souvent acteurs du web 2.0, constituent la foule des gens qui conseillent : « il aurait fallu…, il faudrait… ». Ils sont dans la situation la plus confortable qui soit, celle de ne pas avoir la charge, ni la responsabilité, des décisions à prendre. Ils ne craignent même pas le discrédit.
Ils n’écoutent pas. Leur point de vue est établi une fois pour toutes. Ils sont seuls à avoir raison. Tout ce que peuvent exprimer les autres est une infamie à combattre. Leur attitude se construit par la polémique, par la posture à tenir quelles qu'en soient les conditions, pour tenter « d’avoir eu raison » au moment critique et de s’assurer ensuite un avenir.
Ils sont le fonds de commerce des chaines de télévision, comme de la presse magazine. Par leurs incroyables certitudes, ils polluent également les réseaux sociaux.

Pierre Bourdieu, le très dérangeant mais combien efficace sociologue béarnais, a produit en 1996 un ouvrage sévère, mais qui se voulait positivement critique sur la télévision. Il s’y exprimait ainsi : « À travers la pression de l’audimat, le poids de l’économie s’exerce sur la télévision, et, à travers le poids de la télévision sur le journalisme, il s’exerce sur les autres journaux, même sur les plus « purs », et sur les journalistes, qui peu à peu se laissent imposer des problèmes de télévision. Et de la même façon, à travers le poids de l’ensemble du champ journalistique, il pèse sur tous les champs de la production culturelle ».

Menacée par d’autres écrans, la télévision devient… mobile ! 
De nouvelles stratégies entrent en action et leurs programmes envahissent les réseaux sociaux.
Qu’écrirait aujourd’hui Pierre Bourdieu sur l’ère des écrans multipliés à l’infini et des vampires financiers qui les aliènent, quoi qu'en pensent leurs utilisateurs ?
La stratégie est vieille comme l'histoire des humains : séduire et rendre captive la masse inculte et régulièrement abrutie des auditeurs. Celle qui vous enrichira. Et ça marche !

ET DEMAIN ?
La question, urgente aujourd’hui, est celle de savoir quelles leçons tirerons-nous de ce que nous vivons actuellement.
« L’Après » pandémie sera-t-il radicalement différent de ce qu’était « l’Avant ? »
Bien audacieux serait celle ou celui qui oserait avancer un pronostic.
Certes, cette phase inattendue nous permet l’expérimentation d’une nouvelle manière d’organiser nos quotidiens. Elle pourra être de nature à ouvrir des perspectives nouvelles à un certain nombre.
Elle pourrait être même « le miracle » que certains attendaient, pour être propulsés, un peu malgré eux, vers des chemins dont ils avaient rêvé.
Quoi qu’il en soit, c’est toujours dans le présent que se dessine l’avenir. Et ce présent, même nourri « d’envies » nouvelles, nous laisse toujours perdus devant un monde d’incertitudes.
Aussi, le retour vers « L’Avant » semble la seule voie « imaginable » pour un bon nombre d’entre nous. Très nombreux sont même ceux qui l’espèrent et qui l’attendent. Comment ne pas comprendre cette aspiration de retour vers un monde connu ?

« ILS » L’AVAIENT ANNONCÉ !

Bien entendu, la foule habituelle des nouveaux prophètes s’est emparée du sujet. Elle nourrit encore et toujours le fonds de commerce des chaines d’information continue.
Tous les collapsologues convaincus, ces penseurs « intuitifs » de l’effondrement de la société industrielle se régalent. Leur prédiction n’est-elle pas en train de se réaliser ?
Ces donneurs de leçons, « enfonceurs de portes ouvertes », constituent à leur tour le capital actualisé en continu des écrans. Ils se font aujourd’hui une gloire d’avoir eu raison avant les autres (le rapport Meadows, du Club de Rome, intitulé « Halte à la croissance », date tout de même de…1972).
À lire les orientations, les recommandations et les conseils de ces nouveaux « penseurs de l’Apocalypse », il semble nécessaire de disposer de moyens qui sont hors de portée du plus grand nombre pour espérer se sauver du désastre.
Il n’est pas en effet à la portée de chacun d’acquérir les moyens d’accès (en priorité absolue) à l’indépendance en énergie électrique et en eau, lorsque les opérateurs actuels auront disparu dans l’effondrement général.
Qui pourrait s’offrir dès maintenant (à l'exemple de certain collapsologue réputé) un domaine de plusieurs hectares, doté d’un ensemble bâti avantageux, d’un bois généreux, d’un ruisseau, d’un lac et de tout ce qui permet de voir venir confortablement l’effondrement financier, économique, politique, social et culturel du système actuel ?
Partant de leur situation actuelle, les populations à bas revenu en restent extrêmement éloignées. La solidarité et l’entraide atteignant rapidement leurs limites dans un contexte d’effondrement total, il y aura donc beaucoup de sacrifiés.

ET SI NOUS NOUS RETENIONS… QUELQUE TEMPS ?

Il ne sera pas facile à tous les internautes enflameurs de réseaux sociaux, d’accepter de suspendre leur communication actuelle sur ce qui concerne le traitement médical et politique de la situation présente, c’est-à-dire sur tout ce qui échappe à la compétence ou au pouvoir de l’internaute courant.
Ce serait pourtant hautement souhaitable, au moins durant « un  temps » !
Cet effort de retenue permettrait de ne pas noyer les relations sociales fondamentales que ces réseaux permettent, sous des cascades d’opinions personnelles, toutes admissibles qu’elles puissent être en temps normal, mais totalement inopportunes en temps de crise. Ceci… pour « un temps ».
Ce « un temps » qui nous est indispensable pour tenter de comprendre et de traverser avec le moins de dégâts possible, particulièrement dans nos têtes, cette phase inédite de nos vies.
Ce « un temps » qui nous permettrait de percevoir, au quotidien, un « essentiel » déjà très difficile à cerner. Et, de plus, il nous libèrerait de la tentation douloureuse « d’unfriender » un certain nombre de nos relations, au demeurant indispensables.



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