samedi 27 avril 2013

LES DERNIERS « SEIGNEURS »

Une douloureuse coïncidence nous a conduits récemment à accompagner dans leur ultime voyage deux personnages marquants de la vie de notre communauté : Albert LATAILLADE puis Alfred NAHARBERROUET.
Tous deux, autre coïncidence, à 90 ans.


Albert LATAILLADE avait quelques racines familiales à Came. Son patronyme n’y semble pas faire de doute. Il en revendiquait en tout cas les traces. Il était le cousin de Prosper le chaisier, pour ceux qui l’auront connu. 




Enseignant et directeur d’école, il avait fait revivre à Port de Lanne, avec son épouse Mireille, un chaleureux lieu d’accueil : « La Vielle Auberge ». Chaleureux non seulement pour les touristes en découverte de la Gascogne maritime, mais aussi pour tous les passionnés de la vie rurale et batelière. Albert en avait sacralisé la mémoire dans un étonnant musée ethnographique, objet de nombreuses reconnaissances.
Et lorsqu’il développait devant un public charmé l’histoire des « gens de son pays », le maître-enseignant qu’il était toujours resté devenait un orateur exceptionnel et un impressionnant homme de théâtre.


Alfred NAHARBERROUET a son histoire profondément enracinée dans le territoire de Came. Cantonnier, garde-champêtre, chargé de missions diverses auprès de la commune, il connaissait comme personne les moindres parcelles du territoire communal comme il connaissait la nature intime du caractère de chacun de ses habitants… jusqu’à leur place au cimetière.
Durant toute sa carrière, il s’est rendu disponible à toutes les organisations festives, des fêtes locales aux expositions artisanales. Rien ne se préparait sans son concours.



C’est lui également qui accepta de prendre la tête de la Batterie-Fanfare Lous Hardits pour lui donner une nouvelle vie en 1959.
Mais Alfred était bien plus que cela. Ceux et celles qui auront eu l’opportunité de parcourir un bout de chemin de vie avec lui se souviendront de sa fascinante personnalité. Les événements partagés avec lui nous laissent un nombre infini de souvenirs ineffaçables.



LA MARQUE DES CANTAYRES

Et puis naquit en 1972 l’extraordinaire histoire des Cantayres. Dans cette aventure également Alfred s’est trouvé incontournable. Il était le dépositaire, non seulement d’une multitude de chants, mais surtout d’un art de chanter si particulier qu’il avait attiré très tôt l’attention des experts  du chant traditionnel. C’est principalement grâce à ce caractère distinctif apporté par Alfred que les Cantayres de Came sont devenus une référence en matière de chant polyphonique pyrénéen. Ces chants travaillés durant dix années, tous les mardis, dans la cuisine de Sylvette, la délicieuse compagne d'Alfred.


LA PASSION DU PAYS

Dans le salon feutré d’Albert LATAILLADE, les Cantayres de Came avaient installé leur camp il y a quelques années pour y produire l’image de leur dernier enregistrement : « Les Cantayres chantent les bateliers ».
Albert avait présidé cette soirée, sous les objectifs de Jean-Claude Lanot, le photographe attitré du groupe.
Albert était déjà entré dans l’histoire des Cantayres par sa passion du pays. Leurs chants en étaient pour lui toute la représentation. C’est pour cela qu’il les sollicitait lors des soirées de prestige organisées à La Vieille Auberge.
C’est ainsi que les chemins d’Albert et d’Alfred se sont croisés. Se connaissaient-ils avant l’époque « Cantayres » ? Difficile à dire. Ils s’étaient en tout cas rapidement reconnus, hommes de la même génération, portés par les mêmes valeurs.



DES PERSONNAGES HORS DU COMMUN

Mais ce qui marquera définitivement la mémoire que nous garderons de ces hommes, au delà de leurs grandes différences, c’est leur étonnante personnalité.
Que ce soit avec une certaine érudition pour Albert, ou en dehors des parcours scolaires conventionnels pour Alfred, leur vie s’est construite tout naturellement sur la puissance de ce que l’on nomme aujourd’hui « la culture traditionnelle ».
Cette manière d’être ne s’apprend pas dans les écoles. Elle s’acquiert dans les familles, sur les lieux de travail partagé, autour des tables, des verres que l’on trinque, dans les bonheurs et les drames que l’on traverse ensemble et, pour nous, dans les cercles intimes de nos communautés rurales.
L’évolution sociétale arrache l’individu à sa communauté. L’individualisme est devenu la loi fondamentale de la société de consommation.
Cette évolution, que l’on a l’audace d’appeler « modernité », dépersonnalise les individus. Elle nous banalise inéluctablement à notre tour.

 LES DERNIERS "SEIGNEURS"

Il faut nous rendre à cette évidence, nous n’accèderons jamais nous-mêmes à cette race d’hommes, fussent-ils parfois au caractère rude, dont Albert et Alfred étaient les derniers symboles comme l’ont été Emile*, Marcel*, Pierre*, René* et quelques autres récemment disparus.
Nous les aimions comme ils étaient. Ils nous attiraient. Ils inspiraient notre respect. Si nous les pleurons aujourd’hui, peut-être pleurons-nous surtout sur notre propre perte. 

De notre communauté, ils étaient en effet les derniers « seigneurs ».


*Référence à : Emile de Cantaou, Marcel de Yunca, Pierre de Haut-de-Bouilloun, René de Thicoun…et quelques autres.


NDLR : Ce billet a été publié dans "Lou Couralin" journal d'informations communales de la commune de Came N°27

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